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Site documentaire sur l'histoire des Camelots du Roi
7 mai 2008

L'Action royaliste comme support d'une pratique sacrificielle

Michel Michel est maître de conférences à l'Institut des Sciences sociales de Grenoble. Spécialiste de la sociologie de terrain, il se dit lui-même "militant insuffisant", mais ce vibrant orateur de multiples camps Maxime Real del Sarte ne cesse de réfléchir sur ce que c'est qu'être royaliste. Il nous livre ici quelques réflexions roboratives.

L’ACTION FRANÇAISE 2000 – Peut-on penser, selon vous, une onthologie du royaliste ou du royalisme ?

MICHEL MICHEL – Je crains qu’à trop se centrer sur une conception ontologique, sans rapport avec la France réelle, ignorant des obstacles concrets qui résistent à notre action, notre royalisme ne devienne au mieux que l’adhésion à un archétype (qui comme tout archétype se suffit à lui-même) et au pire à une idéologie. J’apprécie bien l’œuvre de Maurras pour fonder le royalisme en raison. Mais le raisonnement doit précisément mener à cette fidélité incarnée, sinon, la pure passion idéologique risque de finir dans les néants de la Légion Charlemagne.
En mettant l’accent sur l’être du royaliste, ne risque-t-on pas d’essentialiser le royalisme ? Une ontologie de la royauté passe encore, les idées platoniciennes et le roi du Ciel pourraient le faire accepter… Mais essentialiser le royalisme ? Maurras pouvait écrire : « Je suis de Martigues, je suis de Provence, je suis Français, je suis Romain, je suis humain. » "Être royaliste" n’est pas du même ordre ; ce n’est pas une identité essentielle mais une conséquence de l’être français, le moyen de défendre le bien commun de cette communauté de destin qu’est la France.

L’AF 2000 – Si être royaliste est un moyen, on ne peut l'être véritablement que dans l'action politique...

M.M. – L’action implique une confrontation avec les résistances du réel ; elle constitue une ascèse dans laquelle s’évanouissent bien des faux problèmes. Le matériau éprouve la volonté et dissipe les velléités. C’est le projet commun qui fédère. Surtout, comme l’a bien établi Carl Schmitt, quand l’action s’exerce sur un terrain où l’on a besoin d’alliés pour vaincre des adversaires. Les troupes se soudent dans le combat (surtout s’il est victorieux) et se délitent à Capoue. Les royalistes sont restés trop longtemps hors du champ politique, ils n’ont plus que des adversaires abstraits : les travers de leurs comportements s’expliquent en grande partie par cette situation planante.

Le chemin à suivre

L’AF 2000 – Les royalistes seraient ainsi de simples partisans ; n'est-ce pas contraire au principe d'unité qu'ils défendent ?

M.M. – Il ne faut pas confondre les royalistes et le roi. C’est peut-être au roi à tenter d’incarner l’archétype de la souveraine transcendance ; aux royalistes il n’est demandé que de mettre à profit une situation pour "faire le roi".
En situation "normativement normale", il n’y a pas de royalistes, il n’y a que de loyaux et fidèles sujets. Il n’y a de royalistes qu’en situation de crise de régime. On connaît la chanson : Pleurez, pleurez fidèles royalistes, la mort de Henri de Valois… Le terme de royaliste implique que la France est déchirée entre les factions des Huguenots et de la Ligue. Le tiers parti, celui qui refuse cette guerre civile est bien forcé à s’organiser en parti des politiques. Les royalistes sont des partisans par nécessité. Des partisans qui souhaitent la fin des partis (ou de façon plus réaliste, l’atténuation du déchirement de la France par les factions), mais des partisans quand même. Qu’ils le veuillent ou non. Et il vaudrait mieux qu’ils le veuillent, sinon ils seront de mauvais partisans, c’est-à-dire de mauvais royalistes.
C’est un vice mental que de prétendre "incarner l’idéal" (la royauté comme concorde) en feignant d’ignorer les impératifs du chemin hors duquel nous ne saurions accéder à cet objectif. Mais c’est tellement plus confortable de faire l’économie de ce chemin...

Trois sortes de royalisme

L’AF 2000
– Dès lors, qui sont les véritables royalistes?

M.M. – Il me semble qu’on peut distinguer (et non pas opposer) trois postures royalistes.
– Un royalisme de témoignage et de protestation : témoignage d’une fidélité à une histoire, à un régime qui reflète la transcendance divine, protestation contre le prosaïsme, le conformisme et l’insignifiance du monde post-révolutionnaire.
– Un royalisme de régence du nationalisme : en l’absence de l’héritier, tentons de conserver l’héritage. Dans chaque numéro, L'Action Française veut dégager ce que serait une politique qui ne viserait qu’au bien commun de la France sans tenir compte des filtres idéologiques et des impératifs institutionnels du régime républicain. Malheureusement bien peu de nos gouvernants lisent L'Action Française.
– Un royalisme de complot visant à changer le régime et à amener le Prince à gouverner réellement. Ce type de royalisme a été illustré par un Cadoudal, ou plus près de nous par un Henri d’Astier de la Vigerie. (On raconte qu’en 1942 à Alger, quand on demandait des nouvelles de ce dernier, on s’entendait répondre : « Comme toujours, le matin il va à la messe et l’après-midi il complote. »)
Ceux qui relèvent de la première catégorie sont les plus nombreux, ils forment un réservoir qui semble inépuisable à partir duquel il est toujours possible de trouver de quoi reconstituer des motivations royalistes. C’est un royalisme de valeurs et de sentiments.
Dans la seconde catégorie, on pourrait parler d’un "royalisme politique". Peu nombreux sont ceux qui accèdent à ce niveau de réflexion. Ce royalisme est rarement spontané et le plus souvent il est le produit d’une école de pensée qui a mobilisé d’importants moyens (cercles d’études, conférences, livres savants, etc.) pour parvenir à transformer des convictions, des sentiments, parfois de simples réflexes conditionnés (mêmes "sains") en une capacité d’analyse de la réalité politique française.
Pour une réforme intellectuelle et morale
Quant à la troisième catégorie, ils font cruellement défaut pour que se mette en place un "royalisme d’action". Certes, la tradition d’impertinence des étudiants d’Action française et des camelots du Roi (« ce sont des gens qui se foutent des lois ») peut être considérée comme une formation propédeutique élémentaire à ce royalisme d’action ; mais bien insuffisante quand il faudrait former des "professionnels du complot royaliste" (au sens où Lénine évoquait le bolchévisme comme un parti de révolutionnaires professionnels, dont il voyait la préfiguration dans l’ordre des jésuites). Il n’y aura d’action royaliste cohérente (c’est-à-dire une action qui dépasse le témoignage) que si elle est orientée par une stratégie, ce qui suppose un état-major et des agents disciplinés aptes au stratagème.

L’AF 2000 – Vous semblez appeler de vos vœux la formation de ce troisième type de royalistes, des "militants professionnels" en quelque sorte, prêts au sacrifice de soi pour leur cause ; cela est-il possible et comment?

M.M. – Parmi les royalistes, peu sont militants ou le restent. Et les militants sont des amateurs… Hélas ! Certes les amateurs aiment, d’où l’aspect sympathique de la plupart des royalistes ; mais ils ne se manifestent qu’autant qu’ils aiment ce qu’ils font, c’est-à-dire qu’ils fonctionnent au principe de plaisir. Certains, parfois vont un peu plus loin, par sens du devoir ; mais combien se conduisent en professionnels, c’est-à-dire acceptent de mener des tâches ennuyeuses, peu exaltantes, simplement parce qu’elles concourent efficacement à l’objectif fixé ?
On sait combien dans les associations les rapports entre permanents et bénévoles sont difficiles : les activités des uns et des autres ne sont pas sous-tendues par la même logique. Eh bien, les mouvements et groupes royalistes ne sont pratiquement composés que par des bénévoles.
Ah ! Combien je comprends Lénine qui en appelait à une organisation de révolutionnaires professionnels. (Il est vrai que les caisses noires, le soutien de l’État soviétique et les emplois de permanents n’ont jamais manqué aux apparatchiks des partis communistes.)
Les royalistes fonctionnent à l’enthousiasme, parfois c’est un dieu qui les habite, parfois ce n’est que de la "gonflette" ; il faudrait un peu de lest qui les stabilise dans une action prolongée.
Aussi, nos efforts devraient moins porter sur la multiplication des royalistes de sentiment (si la diffusion de convictions justes suffisait au salut public on pourrait être démocrate) que sur la transformation de beaucoup de ces royalistes de sentiment en "royalistes politiques" et de certains de ces "royalistes politiques" en comploteurs actifs. En termes maurrassiens cela s’appelle « la réforme intellectuelle et morale de quelques uns ».
La réforme intellectuelle suppose de ne pas négliger les ressources de l’intelligence qui est seule susceptible d’amender le royalisme de valeurs et de sentiments. La réforme morale consiste à cultiver le courage, le sens du service, du dévouement et de l’abnégation. Elle relève plus de la "voie purgative" (passage obligé pour obtenir la sublimation de la volonté de puissance), que de l’exaltation du petit ego. La découverte de ce qui dans l’homme passe l’homme s’accompagne nécessairement de la conscience du caractère limité et contingent de l’individu et réciproquement.
Alors oui, dans cette perspective, l’action royaliste peut devenir le support d’une voie intérieure c’est-à-dire d’un pratique sacrificielle.

                                                                                                                           


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